Polymachie des Marmitons

 

« La polymachie des marmitons » ([176]) est une courte pièce éditée en 1562, qui sous le prétexte de décrire l’armée du pape, qui est celle de Lucifer, attribue à chaque fonction de l’église catholique un grade dans une armée en campagne. L’ironie et la satyre sont teintées parfois d’amertume face aux exactions dont sont victimes ceux qui s’opposent à la force de Rome, et le texte devient alors une célébration des martyrs. L’auteur déploie l’image de la marmite papale, qui, étant prête à être renversée, fournit le prétexte de la levée d’armes lancée par le diable.

 

 


Le renversement de la grande marmite

 

 

Page 2 : « Lucifer : délibérez de marcher soubs l’enseigne/ Du grand pontife, & qu’aucun ne rechigne : / Car s’il ne met bon ordre à sa marmite, / Elle sera à son tour desconfite. »

Le pape est ainsi nommé lieutenant général pour le diable : « Aydez-moy donc, mettez cœur mes soudards , / Voicy le temps que combatre il nous faut, Pour soustenir la Marmite briffaut. »

Les cardinaux sont légionnaires : « N’avons-nous pas argent, forces & astuce / Pour les hacher menu comme une puce ? » ;

les archevêques sont colonels, les évêques capitaines : « Notre marmite a perdu le bouillir, / Encor chacun travaille à l’assaillir, / … / Mais il la fault, deussions nous trespasser, / Avec les mains la garder de verser. » ;

les abbés sont lieutenants : « Je les feray chanceller en la fosse / De dure mort, & masles & femelles / Jusqu’aux enfans qui succent les mammelles, / Nozmains seront nuit & jour occupées, / Ales passer au fil de noz espees. », et les prieurs enseignes : « Il est bien vray que sans boire en bataille / Nous n’avons pieds ne bras, ne main qui vaille, /Faites mener cervelas & jambons, / Vous nous verrez avoir lors les cœurs bons. » ;

les curés sont « sergents de bande », les officiers de la Roue de Romme sont maréchaux de camp, les vicaires « lanses-pessades » et les prêtres, diacres, sous-diacres, acolytes maréchaux des logis et fourriers ; les doyens, chanoines et « prebendez » sont caporaux et les prévôts et autres bénéficiaires sont caps d’esquadre ; les secretains, imagiers, faiseurs d’encensoir, de torches, les vitriers & autres gagne-deniers sont fait « dizeniers » : « On nous verra es assauts bien porter, / Puis qu’on nous veult des mains le pain oster.» ;

les chantres sont enfants perdus et les moines « estradiots » ; les fondeurs de cloches maçons et pionniers, les marguilliers, tambourins, les organistes, fifres, clairons et trompettes ; les sorbonistes et docteurs en canon sont eux faits maîtres de l’artillerie : « Dressons, dressons contr’eux nos gros canons » ; les inquisiteurs de la foi sont prévôts des maréchaux : « Tant en ferons par les picques passer, / Bouillir, rôtir, griller, & fricasser / Qu’on sentira d’une lieu à la ronde, / La puanteur de leur charogne immonde. » ; les procureurs sont archers des prévôts, les Augustins piquiers « Chacun de nous sait manier la picque / Et en user, lors qu’en guerre on nous picque », les Carmes harquebusiers, les Jacobins hallebardiers « A mort, à mort, nous portons pour devise, / N’est-ce pas bien l’estat de gens d’Eglise. » : Les Cordeliers sont eux hommes d’armes, les Cémestins archers de compagnies, les Chartreux guidons, les Bernardins chevaux légers « On ne nous peult attraper de vitesse / Et bien savons nous tirer de a preste. » ; les fils des gens d’église, sans « pères&mères », sont vivandiers tandis que les courtisanes, putains et ribaudes des prêtres sont bagage ; enfin les promoteurs sont les espions « Faire le guet & l’ennemi surprendre, / C’est tout cela à quoy savons entendre. ».
Et pour s’enrôler « Il se faut adresser en la rue de faulse Religion, au logis de Madame Idolatrie, à l’enseigne d’Abus, & là demander le Prince des ténèbres, & vous serez enroollez de rechef. ».

C’est sans doute à partir du texte attribué à Théodore de Bèze, « Satyres Chrétiennes de la cuisine papale » ([179]), que le mot « marmite » acquiert une connotation injurieuse, renvoyant à l’hypocrisie, l’ivrognerie et la gloutonnerie attribuées à l’église de Rome par les réformés. Cette image joue sur la symbolique souvent utilisée pour représenter l’Enfer. Si le terme avant 1560 n’est pas vraiment utilisé, il devient récurrent dans les écrits protestants à partir de cette date, à tel point que les catholiques reprennent à leur compte le caractère insultant du terme pour en qualifier en retour les réformés. C’est Thomas Beauxamis qui en tente une justification théologique dans son ouvrage « La marmite renversée et fondue, de laquelle notre Dieu parle par les saints prophètes » ([177]).

 

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